Repenser la pédagogie à l’ère de l’IA : Retour d’expérience et conseils

Cela fait presque 10 ans que j’ai commencé à animer des formations pour des professionnels et des étudiants.

Force est de constater qu’enseigner aujourd’hui est devenu un challenge !

Au-delà de l’usage massif de l’intelligence artificielle générative, le profil des apprenants a beaucoup évolué.

Dans cet article, je vais davantage me concentrer sur l’apprentissage de la jeune génération (dite « Z »). C’est un enjeu majeur pour l’avenir de nos sociétés.

Quelles sont les difficultés liées à l’apprentissage des jeunes ?

J’identifie trois problèmes majeurs limitant les capacités d’apprentissage :

  1. Une attention très volatile : Si vous êtes formateur(trice), votre véritable challenge consiste plus à capter l’attention pendant une durée suffisante plutôt qu’à créer vos contenus !
    Certes, cette attention dépend en partie de votre capacité à « embarquer » les étudiants avec vous.
    Mais malgré vos efforts, difficile de lutter contre l’effet addictif des réseaux sociaux sur les jeunes.
    Le documentaire The Social Dilemma (Derrière nos écrans de fumée) explique bien comment les plateformes sociales favorisent ces comportements addictifs, réduisant la concentration.
  2. La recherche de solution « rapide » : Beaucoup de jeunes apprenants recherchent des réponses immédiates dans leur travail.
    Dans une société de l’information ou tout va vite, l’apprentissage n’échappe pas à la règle.
    Mais un apprentissage efficace nécessite du temps et de l’investissement
    La théorie de l’apprentissage, par exemple, nous indique que le début de ce processus (phase initiale) est plus difficile.
Courbe apprentissage

En conséquence, les jeunes n’assimilent pas les contenus des cours. Ils restent souvent en surface des sujets.
Cette situation est directement liée au point précédent : le manque d’attention. Avec des sollicitations incessantes, il est plus difficile de s’investir durablement sur un sujet.
Plus récemment, l’avènement de ChatGPT accentue cette tentation d’avoir « tout de suite » la réponse.

3. Manque de méthodologie et de structure : C’est le constat que je fais de mon expérience de formateur : nombre d’étudiants abordent des problématiques sans véritable méthode, ou d’approche structurée.
Par méthode, je veux dire construire un processus de raisonnement pertinent pour aboutir à une réponse adaptée.
Pour cela, il faut d’abord se poser les bonnes questions et suivre une méthodologie.

Ayant assisté à de nombreux jurys, je constate avec des collègues que des apprenants « empilent » les concepts appris en cours, sans apporter de valeur ajoutée.

Or, l’objectif de l’apprentissage est de développer ses capacités d’innovation en prenant du recul sur les savoirs appris. Ce qui permettra de développer de nouvelles idées et progresser dans un domaine.

Quelles solutions pour une pédagogie efficiente à l’ère de l’IA ?

J’ai rassemblé plusieurs idées dans le but d’optimiser l’apprentissage, tirées essentiellement de ma propre expérience.

1. Enseigner les valeurs avant les concepts

Dans le cadre d’un workshop avec un client réel, j’ai présenté un travail sur la « raison d’être d’une entreprise » à des étudiants en marketing.

Pour résumer, les étudiants devaient réfléchir sur la mission et valeurs d’une entreprise cliente.

Au-delà des appétences de chacun pour ce sujet, j’ai été surpris par le peu d’enthousiasme généré par ce travail.

Les étudiants en marketing sont habitués à s’exercer sur des objectifs de rentabilité, visibilité, etc. C’est principalement la question du « Comment » (par exemple « Comment augmenter le trafic de mon site web ? »).

Par contre, ils ont peu l’habitude de s’exercer sur le « Pourquoi » de leur travail.

Or, c’est primordial d’explorer les questions liées aux valeurs et au sens. Car c’est le prisme par lequel ces futurs cadres prendront des décisions éclairées.

Cela est d’autant plus important que l’IA n’aura aucun mal à expliquer les concepts techniques.
Le rôle du professeur doit davantage interroger le « pourquoi », amenant les élèves à prendre du recul et réfléchir aux finalités de leur travail.

2. Travailler l’esprit critique face à l’IA

L’IA est un formidable outil de connaissance, à condition de l’utiliser à bon escient.

Le souci est que beaucoup interrogent ChatGPT avant même de réfléchir à la problématique à résoudre. C’est devenu un réflexe.
Je récupère souvent des copies rédigées, parfois entièrement par l’IA…
Ce n’est pas tant « la tricherie » qui me dérange. C’est le fait que l’apprenant n’a rien appris sur le sujet. Il ne fait que « copier-coller » des réponses, laissant s’envoler l’opportunité de monter en compétences.

Pire que ça, en évitant l’effort mental nécessaire pour comprendre, le cerveau est moins stimulé. On peut se poser légitimement la question des risques sur des capacités cognitives des étudiants…

L’objectif est de les sensibiliser à un usage raisonné de l’IA. Celle-ci ne doit jamais se substituer à la réflexion humaine. Il faut rappeler aussi aux apprenants que l’IA ne « réfléchit pas ». Elle fait des calculs de probabilités !

L’intelligence artificielle peut être utilisée ensuite pour rechercher, approfondir ou analyser les données. À condition de vérifier systématiquement les réponses fournies.

Par ailleurs, une initiative encourageante a été lancée par la société Anthropic (proposant le modèle Claude.ai) en avril 2025. Il s’agit de l’IA « Claude for Education« .

L’objectif est de pousser la réflexion et le raisonnement chez les étudiants, au-delà de la simple recherche de réponses rapides.

L’une des solutions sera donc que les Universités et les Ecoles choisissent elles-mêmes les outils d’IA que les étudiants pourront utiliser. Privilégiant les outils qui favorisent la réflexion critique.

En complément, une vidéo pertinente sur ce point :


3. Réduire le volume de travail des étudiants 

Cela peut paraitre paradoxal. Mais je pense qu’il faut limiter la quantité de travail donnée aux étudiants.

Je suis parfois surpris par charge de travail demandée aux apprenants. Les responsables pédagogiques et les formateurs ne sont pas forcément conscients de cela.

Beaucoup d’étudiants (notamment en alternance) que j’ai pu rencontrer se plaignent de ne pas avoir le temps de faire tout ce qui est demandé.

Dans ce cadre, l’IA est naturellement perçue comme une aubaine.

C’est un cercle vicieux : plus on augmente la charge de travail, plus l’étudiant(e) risque d’utiliser l’IA de la mauvaise manière.

Car comme vu plus haut, cette exploitation de l’IA est souvent inadaptée : les étudiants demandent directement une réponse « toute faite » au problème posé, sans réellement réfléchir au sujet.

Par contre, si l’on limite la charge de travail. Les étudiants auront plus de temps pour exploiter leurs capacités cognitives. Ils seront moins dans l’urgence qui les pousse à solliciter l’IA de façon continue.

L’idée est de privilégier la qualité à la quantité pour favoriser un apprentissage efficace.

4. Utiliser l’e-learning avec pertinence 

L’essor de l’e-learning et du mix-learning a permis de répondre à l’évolution des modes d’apprentissage, notamment pendant la crise de la Covid-19.

Même si l’e-learning reste un excellent moyen d’apprendre. Mon expérience m’a montrée qu’il faut respecter certains critères pour qu’il soit toujours efficace :

  1. Une mise à jour régulière : L’un des problèmes des plateformes e-learning est la lenteur de la mise à jour des contenus. Dans certains secteurs comme le marketing digital, du contenu créé il y a un an peut déjà devenir obsolète !
    Un conseil au passage : évitez les contenus présentant les interfaces d’outils. Celles-ci changeant régulièrement, ce n’est pas un investissement pertinent.
    Préférez à la place les contenus liés aux concepts et théories, plus pérennes dans le temps.

  2. Garder un équilibre entre plateforme et formation en direct : c’est justement une manière de remédier aux longs délais des mises à jour des contenus.
    Là encore, je suis surpris de voir des établissements réduire de façon drastique le temps réservé aux sessions synchrones avec un formateur au profit du travail « en autonomie » des élèves.
    Dans les faits, beaucoup d’apprenants ne suivent pas les sessions en asynchrone. Les formateurs sont alors obligés de traiter l’ensemble du module dans une fenêtre de temps très réduite (cela m’est déjà arrivé plusieurs fois…).

5. Apprendre aux étudiants à « apprendre »

70% de ce que nous lisons est oublié en 24 heures !

Vous connaissez la courbe de l’oubli d’Ebbinghaus ? Sans effort de révision, quasiment tout ce que l’on apprend s’évapore.

Source : https://everlaab.com/courbe-debbinghaus/

Bien sûr, chaque individu a ses propres caractéristiques personnelles en termes d’assimilation.

Des méthodes existent pour booster la mémorisation. Voici quelques conseils :

  • Favoriser l’écoute active : éloigner dans la mesure du possible toutes les distractions. À commencer par le smartphone. Oui, c’est un vrai challenge pour beaucoup ! Pour commencer doucement, bloquer déjà les notifications ou se déconnecter des réseaux sociaux sur l’ordinateur.
  • Prise de notes papier vs ordinateur : une étude a montré l’efficacité de l’écriture manuscrite par rapport à rédaction sur un clavier. Car cela demande un effort de synthèse et active plus de zones cérébrales.
    Il est navrant de constater que certains établissements n’ont pas même plus de paperboard. Tout est sur écran…
  • Mémoire associative : une astuce simple et l’usage de phrase mnémotechnique.
    Exemple : pour mémoriser l’ordre des points cardinaux : Nord, Est, Sud, Ouest, on peut lui associer la phrase « Nous Etions Sagement Ordonnés ».
  • Répétition espacée : la clé de la rétention est de revoir activement les informations à intervalles réguliers. L’idéal étant d’essayer d’appliquer dans la vie quotidienne ces enseignements.

Connaitre ces méthodes et astuces est d’autant plus important à une époque où les apprenants se retrouvent souvent à apprendre seul, face à un écran.

On passe beaucoup de temps à créer des contenus pédagogiques, des évaluations, etc. Mais on oublie un point clé : le mode d’emploi.

Que vous soyez responsable pédagogique (surtout) ou enseignant, distillez à vos étudiants des conseils pour mieux apprendre, c’est essentiel !

6. Mettre le paquet sur les « soft skills »

L’IA générative est adoptée massivement par les apprenants (que l’on veuille ou pas !).

Il faut alors se concentrer sur ce que l’IA n’est pas en mesure de faire. Car quoi que l’on dise, l’aspect humain du travail (comme l’empathie ou l’esprit d’équipe, etc.) n’est pas remplaçable par une machine. Cela relève intrinsèquement de l’humain.

Même avec des prompts avancés, l’IA ne fait que « simuler » ces compétences.

C’est ce qu’on appelle communément les « soft skills » : des compétences interpersonnelles et comportementales qui influencent la manière dont une personne interagit, collabore et s’adapte dans son environnement.  

Par opposition aux « hard skills » qui sont des aptitudes techniques.

Voici les 10 soft skills à prioriser en 2025 (selon le baromètre Yuzu) :

  • 1- Adaptabilité
  • 2- Travail en équipe
  • 3- Capacité d’apprentissage
  • 4- Prise de décision
  • 5- Empathie
  • 6- Résolution de problèmes
  • 7- Gestion du stress
  • 8- Intégrité
  • 9- Esprit critique
  • 10- Curiosité

N’hésitez pas à intégrer davantage dans les cours et les critères d’évaluation les soft skills.

7. Revoir les systèmes d’évaluation… rapidement !

Évaluer est une phase clé d’un apprentissage efficace.

Dans la plupart des écoles où je suis intervenu, elle est matérialisée par une note sur 20.

Un standard quasi immuable. Mais une solution inadaptée à notre époque. A fortiori avec l’avènement de l’IA générative.

Pour chaque copie rendue par un étudiant, le formateur se pose la question de l’usage de l’IA dans ce travail.

Même en faisant appel à des détecteurs de contenu IA , la confuson reste toujours présente, car ces derniers nétant pas fiables à 100%.

L’usage de l’IA par les apprenants ne fait qu’affaibilir davantage la crédibilité de la notation. Celle-ci étant déjà sujet aux biais des correcteurs.

Des approches plus qualitatives et formatives qui privilégient la créativité, l’esprit critique et la personnalisation sont indispensables.

Prenons un exemple : vous demandez aux étudiants de concevoir une stratégie de contenu pour une entreprise. C’est typiquement le genre de question à laquelle les ChatGPT, Gemini et autres n’auront aucun mal à y répondre.

Comment mieux évaluer dans ce cas ?

Je n’ai pas la prétention de répondre à cette problématique complexe. Je partage simplement des conseils, en partie issus de cet excellent contenu de l’Université du Michigan :

  • Créer des examens « authentiques » et complexes : Les tâches doivent être orientées vers la résolution de problèmes réels et l’analyse critique. L’idée est d’aller au-delà de simples questions factuelles, afin de rendre difficile l’utilisation purement mécanique d’une IA pour y répondre.
  • Structurer les devoirs en étapes itératives : Au lieu de demander une réponse finale unique, l’approche consiste à décomposer le devoir en plusieurs phases (brouillon, version 1, version finale). Cela permet aux enseignants de suivre le processus de réflexion de l’étudiant, de fournir des retours réguliers et de valoriser le cheminement plutôt que le produit final. C’est le principe de suivre une méthodologie évoquée plus haut.
  • Exiger un rendu à l’oral : c’est ce que je fais le plus souvent. L’avantage étant de poser des questions en directs (loin de l’IA). Vous percevez rapidement si la personne maitrise ce qu’elle a écrit sur les slides…
  • Lorsque l’évaluation ne nécessite pas l’usage du Web, demandez un rendu manuscrit. Si l’accès à des ressources en ligne est nécesaire, posez-vous la question : est-ce possible de fournir en annexe le contenu de ces dites ressources ?
  • Revoir les grilles d’évaluation : en valorisant la pensée critique, l’originalité et la capacité à justifier ses réponses. N’hésitez pas à poser la question « pouquoi ce choix ». Plutôt que de se concentrer uniquement sur le résultat final, il convient de prendre en compte le processus d’apprentissage et la manière dont l’étudiant a intégré et appliqué les connaissances.
  • Utiliser l’IA : Oui ! L’intelligence artificielle peut aussi être un atout pour l’enseignement en personnalisant les évaluations. Au lieu de donner un examen standardisé, chaque apprenant pourra être évalué individuellement. Encore faut-il se munir d’outils. Des startups comme celle-ci commencent à proposer des solutions.

J’espère que ce partage d’expérience et de conseils vous ont été utiles. N’hésitez pas à votre tour à partager en commentaires vos expériences et idées sur la nouvelle donne pédagogique à l’ère de l’IA 🙂

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